vendredi 26 avril 2019

Le boîte rouge

L'histoire que je vais vous conter aujourd'hui est une histoire "vraie", même si personnellement, je ne m'en souviens pas du tout. Si je vous la conte ici, c'est parce qu'elle m'a été narrée un bon nombre de fois par l'autre protagoniste de cette histoire, que nous allons appeler Lorent, tout simplement.

Nous sommes dans la deuxième moitié des années 80, dans la région de Charleroi, en Belgique. C'est un ancien bassin houillier, gangréné par le chômage et la petite délinquance. D'aucuns prétendent que c'est la faute des socialistes, tous corrompus, les autres que c'est la faute aux bourgeois qui saignent le peuple. Malgré tout, tous sont d'accord pour tenir à l'écart le spectre blafard du parti communiste, représentant de l'honnie Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui, tapie derrière le rideau de fer, ourdi d'odieux plans d'invasions...

Ignorant (presque) tout de cette menace diffuse, Lorent traîne ses baskets dans un athénée de la région, glande beaucoup, et s'intéresse beaucoup moins à la sapience qu'essaient en vain de lui transmettre ses maîtres qu'aux aventures qu'il vit dès qu'il en a l'occasion avec ses amis joueurs de jeux de rôles (à l'époque, on ne dit pas encore "rolistes").

Mais Lorent rencontre un souci d'envergure dans ses activités : les livres et les boîtes de jeux sont de couteux sésames, qu'il ne peut pas acquérir, son argent de poche n'étant pas suffisant pour lui permettre de fréquenter aussi assidûment qu'il le voudrait les boutiques de jeu de Charleroi de l'époque: le Parcmètre de la galerie Bernard, et bien sûr le Christiansens de la rue de la montagne.

Il ne peut que rêver de ces précieux volumes, le nez collé aux vitrines contenant les magnifiques boîtes et volumes tous frais édités: Légendes, Féérie, et bien sûr, la superbe boîte rouge de JRTM, le jeu de rôle de la Terre du Milieu, qui permet d'émuler les aventures de héros fantastiques dans le monde de J.R.R. Tolkien.



Bien sûr, il a essayé d'attendrir ses parents pour qu'ils mettent la main au portefeuille, mais la vie est chère, et le regard perçant de son paternel l'ont définitivement convaincu qu'il valait mieux ne plus amener ce sujet sur la table.

Alors, Lorent fait ce que tout adolescent de son âge, passionné de jeux de rôles, faisait à l'époque: il se contente de photocopier les règles de ses amis, et de se bricoler un ersatz de manuel, pauvre substitut il est vrai, face au véritable produit, qui sent bon l'encre et la colle d'imprimerie. Mais qu'y peut-il?

Lorent va à l'école dans la ville voisine de la sienne. Un jour, dans la cour de récréation, il fait la connaissance d'un jeune adolescent prénommé Fabrice, et ils devisent longuement de leur passion commune. Une chose en entraînant une autre, Fabrice emmène Lorent jusque chez lui, pendant un temps de midi, et lui montre sa "petite" collection de jeux, qui a l'époque compte déjà une dizaine de volumes.

Parmi ceux-ci, la fameuse boîte rouge, flambant neuve, trône fièrement sur l'étagère. Lorent la feuillette avec recueillement, une larme au coin de l'oeil. Comme il aimerait, lui aussi, pouvoir s'acheter une belle boîte comme celle-ci... Les deux compères devisent encore un peu tout en mangeant un bout, le regard de Lorent revenant sans cesse sur la boîte rouge. Un jour, il se le promet, un jour, il s'achètera cette boîte, et lui aussi, l'exhibera fièrement au monde entier... Il le sent. Il le sait...