dimanche 30 novembre 2025

Portrait de famille - la série de modules "DA" pour D&D Basic / Expert

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Autre petit portrait de famille aujourd'hui, toujours pour la boite Expert de D&D "Basic", voilà la série DA (pour Dave Arneson).


Dave Arneson co-créateur de D&D a quitté TSR en 1976 et leur a fait plusieurs actions en justice. Les frères Blume avaient apparemment un gros souci avec lui car il semblerait que même au début des années 80, ils aient viré des employés qui auraient tendance à trop soutenir Arneson. Mais les choses changent quand TSR se retrouve en grosses difficultés financières et que Gygax revient abandonnant l'espoir d'arriver à produire un film D&D et arrive à se faire désigner nouveau PDG de TSR à la place de Brian Blume (ou Kevin peut être plutôt).

Bref, les choses vont s'arranger après cela pour Arneson, et son univers, Blackmoor, qui existe depuis le tout début des années 70 va revenir sur la scène de TSR. Gygax l'avait déjà intégré à Greyhawk (dans le folio en 1980), et Arneson l'avait sorti dans l'univers Wilderlands de Judges Guild (un des gros acteurs indépendants des éditeurs de produits D&D sous licences à l'époque) sous le titre "The First Fantasy Campaign" en 1977 (car c'est effectivement le premier univers pour un jdr).

1986 voit sortir le DA1 Adventures in Blackmoor par Dave Arneson et David Ritchie. Blackmoor est ici relocalisé dans le Known World, mais dans un lointain passé. Il y a diverses hypothèses là dessus. Bruce Heard, qui était responsable de la gamme BECMI à cette époque, a dit qu'on lui avait imposé d'intégrer Blackmoor, mais l'idée de le mettre dans le passé serait la sienne apparemment. L'hypothèse basique est que Blackmoor étant apparu dans le D&D original, il avait plus sa place dans D&D Basic. Mais c'est peut être  bien plus compliqué que cela.

Bref, le module n'apporte pas non plus trop d'infos sur l'univers, car l'aventure se concerne surtout l'auberge qui va permettre aux aventuriers de voyager dans le temps pour aller dans Blackmoor pour l'aventure. Une chose pas très courante à l'époque.

Sur la carte de Blackmoor de ce module, le monde se retrouve étiré, car il passe d'un hexagone=10 miles (la taille standard chez Judges Guild et donc de "The First Fantasy Campaign") à 1 hexagone=24 miles (la taille standard utilisé dans le Known World).

En tout cas le scénario repose pas mal sur de l'investigation et de la déduction pour trouver le responsable du problème.

Arrive ensuite le DA2 Temple of the Frog par le même duo. C'est une adaptation et extension (on passe de 20 à 48 pages quand même) du même scénario qu'on trouve dans le supplément 2 Blackmoor de OD&D (le premier scénario publié pour un jdr). Il y a de la science fantasy (et ce n'est que le début) dans ce scénario, et il y a même un pnj inspiré à la base d'un épisode de Star Trek !

En 2007, WotC va sortir un "Return to the Temple of the Frog" en téléchargement gratuit, et en 2008, Zeitgeist Games va sortir une nouvelle version de "Temple of the Frog" en d20 (au passage, quelques années avant, Goodman Games avait sorti un setting Blackmoor justement).

1987 voir arriver le DA3 City of the Gods, toujours pas les mêmes auteurs, même si Arneson a déclaré que Ritchie ne l'avait pas beaucoup consulté, et qu'il n'apprécierait pas trop les ajouts de celui-ci. Toujours est-il que c'est la suite de "Temple of the Frog" et qu'on reste dans la science fantasy (la City of the Gods est un vaisseau spatial). En tout cas, certains ressentent toujours une influence de Star Trek, avec une sorte de "Prime Directive". À noter que cette City of the Gods est certainement l'influence majeure pour le scénario S3 Expedition to the Barriers Peaks de Gygax. En effet, très tôt en 1976, Gygax et son ami Kuntz avaient exploré la cité des dieux de Arneson avec leurs fameux personnages Mordenkainen et Robilar. On retrouve d'ailleurs une City of the Gods mentionné dans le Blackmoor de Greyhawk. À ce propos, il existe un scénario appelé "The Clockwork Fortress" dans Dungeon magazine 126 par Wolfgang Baur qui reprend cette cité.

Ce module marque la fin des aventures de science fantasy pour D&D/AD&D (jusqu'à peut être l'apparition de Spelljammer et encore c'est différent).

Enfin, toujours en 1987 sort DA4 Duchy of Ten par David Ritchie. Arneson a déclaré que chez TSR, des nouveaux venus n'appréciaient pas de travailler avec lui, ce qui est fort possible. À cette époque, Gygax ne fait plus partie de TSR, et la nouvelle PDG aux dents longues, Lorraine Williams, n'a pas trop envie de travailler avec des gens trop proches de Gygax (cela inclue aussi Rob Kuntz). En tout cas, Arneson va encore porter plainte contre TSR.

Malgré le nom, il n'y a aucun rapport avec le Duchy of Tenh qu'on trouve dans Greyhawk cette fois ci (Gygax aimait juste le nom) mais on est toujours dans Blackmoor. Arneson a dit bien plus tard qu'une version plus proche de ce qu'il avait imaginé devait sortir chez Zeitgeist Games, mais ce n'est jamais arrivé.

À noter que dans ce module, on retrouve l'échelle proche de l'originale de "The First Fantasy Campaign", car la même carte a des hexagones de 12 miles.

Un DA5 City of Blackmoor était prévu, mais n'a jamais été écrit et encore moins publié (il y a des sources contradictoires sur l'écriture du module par contre).

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques… 


mercredi 26 novembre 2025

Portrait de famille - la série de modules "D" pour AD&D

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Aujourd'hui, un autre portrait de famille sur la série de modules D (pour Drow).


C'est la deuxième série de 3 modules produits par TSR, et proposés à la GenCon XI en 1978. Les trois sont écrits par Gary Gygax, qui a fait ça pour se détendre entre deux livres de règles pour AD&D. AD&D qui n'est pas encore totalement publié car en fait, le Manuel des Joueurs va juste être dispo (qui ne contient en fait plus ou moins que les règles pour créer les persos), et surtout le Guide du Maître ne sortira que l'année suivante (qui lui contient en fait la majorité des règles du jeu). Les personnages prétirés, à l'instar de ceux de la série G, ne sont donc pas totalement conformes aux règles de AD&D.

Les modules D1 Descent Into the Depths of the Earth, D2 Shrine of the Kuo-Toa et D3 Vault of the Drow, vont être, comme pour les G à Origins, proposés à la vente immédiatement lors du tournoi. À noter que finalement, TSR décida de ne pas utiliser le D1 lors du tournoi, peut être parce qu'il sert principalement de jonction avec la série G et la suite de l'aventure, et que les modules sont un peu plus gros et seraient trop longs pour être tous joués tous lors du tournoi. Je ne sais pas vraiment. En tout cas, le module D2 sert pour le premier round du tournoi, et le module D3 pour les deuxième et troisième rounds.

En tout cas, Bob Blake qui est responsable des tournois utilise un système de scoring très intéressant. Dans le D2 notamment, les personnages qui cherchent à aller le plus vite possible pour pourchasser les drows au lieu de tuer tous les kuo-toas gagnent plus de points. Et ceux qui évitent autant que possibles les combats, voire arrivent à traverser le temple de façon non violente en gagnent le plus !  On est en 1978, et ce qui est récompensé le plus n'est pas le massacre systématique des monstres. Dans ta face le PMT !

Les kuo-toas et les svirfnebli (gnome des profondeurs) font leur première apparition dans le jeu également. Il semblerait que les profonds de Lovecraft ne soient pas vraiment l'inspiration pour les kuo-toas (Gygax n'était pas le plus grand fan de Lovecraft chez TSR, c'était Rob Kuntz). Il voulait simplement une autre race non humaine en plus des drows et mind flayers et que la ressemblance ne serait pas intentionnelle. Quant au svirfnebli, Gygax en avait marre apparemment des "gentils" gnomes. Les aventuriers vont aussi avoir l'opportunité de rencontrer un dieu, ici Blibdoolpoolp la Sea Mother des Kuo-Toas, mais il n'est pas question de l'affronter ou de la tuer. Elle n'a d'ailleurs pas de stats. Son nom est fait pour faire penser à des gouttes d'eau tombant dans une marre pour l'anecdote. Quant aux elfes noirs, ils sont peut être inspirés eux aussi, à l'image des géants du froid et du feu, de la mythologique nordique, les Svartálfaheimr. Les elfes noirs étaient simplement mentionnés dans le Monster Manual en 1977 dans la section des elfes comme étant une légende. Toutes ces races seront publiés ensuite dans le Fiend Folio en 1981.

Un autre aspect intéressant du D2 et du D3, c'est qu'ils présentent un véritable environnement de vie, avec de vraies sociétés. Le D3 notamment peut plus faire penser à un supplément décrivant la ville des elfes noirs qu'un scénario, avec ses maisons nobles qui sont en concurrence. L'underdark (terme qui n'existe pas encore et arrivera bien plus tard, dans le Dungeoneer's Survival Guide en 1986) va au-delà des simples cavernes et autres en proposant de véritables civilisations et ça, ce n'était pas vraiment courant en 1978. Seul Judges Guild avait fait certaines choses en ce sens (notamment City State of the Invincible Overlord), mais malgré tout, ce n'était pas ce qui se faisait le plus.

Dans le D3, il est à nouveau question du Elder Elemental God, introduit dans la série G, qui réapparaît ici comme une menace au pouvoir de Lolth, car il est vénéré par certains elfes noirs. Cela sera malgré tout différent par la suite, mais j'y reviendrai dans un prochain portrait de famille, avec la conclusion de cette campagne incontournable qui n'est pas le D4 (on peut dire qu'il s'agit ici du premier Adventure Path de donj, comme on dit de nos jours).

Comme tous les premiers modules de AD&D, cela se déroule toujours dans Greyhawk, même si à ce moment là, rien ne permet de le dire. Les conséquences de cette campagne sont notables dans la timeline de l'univers bien des années après. Les elfes noirs seront encore plus popularisés par la suite, à leur arrivée dans les Royaumes Oubliés, et notamment les romans de Salvatore sur Driz'zt, même s'ils y subiront quelques changements physiques et culturels.

En 1981 les modules D1 et D2 seront compilés en un volume D1-2 Descent into the Depths of the Earth (à l'image des G1-2-3), avec le nouveau style de couverture couleur, pour arriver notamment aux 32 pages habituelles de l'époque. Le D3 lui sera simplement réédité avec la nouvelle couverture couleur, ayant déjà le nombre de pages standard. À part donc quelques changements de mise en page, et l'inclusion des prétirés du tournoi original, ils n'ont pas de différences avec les versions "monochrome" (sur la photo, je n'ai malheureusement que le D2 en monochrome). Ils seront par contre un peu retravaillés pour la compilation du GDQ1-7 Queen of the Spiders (voir le portrait de famille correspondant).

Une anecdote amusante: si vous avez lu le Art & Arcana, vous savez qu'il y eu une grosse influence des comics sur les premières illustrations de D&D. Et c'est particulièrement notable ici, car sur l'illustration N&B du livret du module D1-2 Descent Into the Depths of the Earth, on voit un coffre avec un bouclier de Captain America et un casque d'Iron Man, ainsi que le masque de Spider-man (plutôt thématique pour le coup ce dernier).

dimanche 23 novembre 2025

Portrait de famille - la série de modules "WGS" pour AD&D 2ième édition

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Aujourd'hui, une trilogie de modules un peu atypique car la 3ème partie n'est pas un module mais un wargame/jeu de plateau. La série WGS (pour World of Greyhawk Swords apparemment, car au départ il est question de récupérer les 5 lames de Corusk).


Sortis en 1991, l'action de ces modules se situe en CY582 du calendrier Greyhawk (timeline avancée de 6 ans depuis la boite de Gygax de 1983).

Originellement conçu comme une trilogie, le 3ème module ne sortira jamais, et certaines choses écrites pour lui seront retravaillées pour être incorporées à la boite Wars dont les événements se déroulent juste après le WGS2, l'action des deux modules précipitant ce qu'on appelle la Grande Guerre de Faucongris. On a ici pour le coup deux modules dont l'histoire est intimement liée à l'univers de Greyhawk.

Cette guerre "mondiale" va durer de CY582 à CY584 et bouleverser la carte géopolitique (et même fantastique) de l'univers au grand désespoir d'un certain nombre de fans, au point de les diviser entre les fans de l'époque Gygax et ceux des différentes époques suivantes (car ça va encore bouger ensuite).

Même si on est pas intéressé par le wargame Wars, la boite contient un livret historique qui détaille largement tous les événements de cette période, ce qui la rend intéressante pour les fans de l'univers qui veulent connaître son histoire la plus complète possible. Le contenu de ce livret était à une époque gratuitement téléchargeable sur le site de WotC, mais depuis que celui-ci a été refait il y a quelques années, les liens ne sont plus valides.

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques… 

mercredi 19 novembre 2025

Portrait de famille - les modules de la série "IM" pour D&D Basic / Expert

Une chronique par Jean-Luc Barbera

Aujourd'hui, portrait de famille sur la série de modules IM (pour Immortals, le I seul étant déjà pris par la série Intermediate) qui fait partie des plus courtes.


La boite Immortals est sortie en 1986 et c'est son auteur pour une fois qui va s'occuper d'un des modules qui la soutient. Il s'agit du IM1 Immortal Storm par Frank Mentzer. Les personnages qui sont arrivés au niveau ultime (36 en Basic) peuvent devenir des immortels, car dans le Known World, comme j'en ai déjà parlé, point de dieux pour éviter les polémiques avec les organisations religieuses. Les personnages surpuissants ici vont devoir faire face à une menace (la tempête en question) qui risque d'anéantir tout le multivers. On joue pas des personnages immortels pour rien. Apparemment, Mentzer était bien content d'écrire un scénario, mais beaucoup moins quand il a du écrire un scénario qui correspondait au titre déjà choisi par TSR.

C'est un peu spécial aussi, car l'aventure se déroule dans une terre qui ressemble beaucoup à la notre, et qui plus est à notre époque (c'est un autre plan extérieur)... Ce genre d'idées remonte au début de AD&D avec ce qu'on appelle aujourd'hui des crossovers (Boot Hill notamment mais d'autres aussi). On continue de découvrir un peu d'autres plans extérieurs qui sont pour le coup très différent de ce qu'on trouve dans la "Great Wheel" pour AD&D.

Le IM2 Wrath of Olympus par Robert Blake arrive l'année suivante (dernier travail de Blake pour TSR au passage). Là aussi, on va découvrir encore des plans extérieurs (qui sont une infinité en fait), mais il y a un retour sur le Known World et notamment à la frontière de la république de Darokin. Ici des immortels ont une querelle, et notamment sur le plan primaire, ce qui est interdit. On a aussi un certain Orcus qui vient faire des siennes, dans ce qui doit être sa seule apparition dans le D&D Basic.

Et enfin toujours en 1987, on a le dernier module de la série IM3 Best of Intentions par Ken Rolston, et cela va marquer un tournant dans la production D&D Basic. L'aventure touche principalement des plans extérieurs avec un léger passage par Thyatis. Le scénario est très humoristique (comme on peut le voir sur la couverture où un immortel glisse sur une peau de banane), avec pas mal de satire et de parodie. C'était plutôt récent dans D&D/AD&D à cette époque, et cela rejoint d'autres modules plutôt fumette comme le WG7 dont j'ai déjà parlé. Bon, en même temps, avec un des auteurs de Paranoia comme auteur principal, ça se comprend un peu plus. Au passage, certains connaisseurs ont remarqué tout un tas de références à l'univers de Paranoia.

Et cela sera tout pour la série Immortals. La production D&D Basic va être très différente par la suite, avec notamment la nouvelle série de modules qui commencent cette même année, et qui ne proposera plus de scénarios comme c'était le cas depuis le début des publications Basic.

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques… 

dimanche 16 novembre 2025

Portrait de famille - la série de modules "WGA" pour AD&D 2ième édition

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Une autre petite série de modules aujourd'hui, et pour le coup, je fais un petit saut jusqu'en 1990 donc pour la deuxième édition: la série WGA (pour World of Greyhawk Adventure), avec quelques spoilers.


Après, 1985, Gygax ne fait plus partie de TSR, plus ou moins évincé (là aussi, y'a de quoi raconter, mais c'est un autre sujet).

Il y a du Dragonlance et un peu de Lankhmar qui sortent (ou du générique bien sûr), mais plus de Greyhawk. Étonnamment à partir de 1988, alors que Forgotten Realms a été lancé l'année précédente pour remplacer l'univers de Gygax, sort la suite de la série WG avec le WG7 parodique anti-gygax, et les autres jusqu'à WG12, ainsi que d'autres produits sur lesquels je reviendrai. 3 ans pour avoir un produit Greyhawk, mais ce ne sera malheureusement pas le plus long.

La série WGA sort donc en 1990 ne va contenir que 4 modules. Les trois premiers forment la trilogie "Falcon" du nom du méchant éponyme qui va mener un complot contre la cité de Faucongris. Si l'histoire de ces modules est intéressante avec une bonne part d'aventure urbaine, ils sont un peu trop (beaucoup) dirigistes (malgré ce qu'en disent les auteurs). À les refaire, je les retravaillerais un minimum. En tout cas, leur histoire est bien intégrée dans le fluff de l'univers car on en entend parler dans des suppléments futurs en plus de retrouver des PNJs.

À cette époque aussi, TSR essaye de proposer des nouvelles choses. Ces trois modules viennent avec des feuilles cartonnées qui permettent de faire des bâtiments 3d des différents lieux importants des scénarios. Ce genre d'accessoires sera utilisé dans d'autres suppléments AD&D, mais ça ne durera pas.

Quant au WGA4, c'est un module qui a particulièrement marqué, car on a ici affaire à un méchant important qui a deux reliques très connues à son nom depuis le Guide du Maître en 1979, un certain Vecna. Au départ, les joueurs vont devoir jouer le Cercle des Huit (carrément oui, Bigby, Drawmij, la nouvelle venue très récemment arrivée Jallarzi Sallavarian, Nystul, Otiluke, Otto, Rary et Tenser !), avant de jouer certains de leurs serviteurs (des prétirés sont proposés aussi pour ceux-là). Relativement de très haut niveau, des artefacts, des conséquences désastreuses suivant comment tout cela se termine, on a ici de la grosse aventure bien épique. La popularité de ce scénario est assez grande. Quoi qu'il en soit, l'histoire de Vecna ne sera pas terminée pour autant, car il y aura deux autres modules qui sortiront sur lui (mais là aussi, j'aurai l'occasion d'y revenir).

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques… 

mercredi 12 novembre 2025

Portrait de famille - les modules de la série "DDA" pour D&D Basic / Expert

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Aujourd'hui, un portrait de famille plus court, sur la série de modules DDA (pour Dungeons & Dragons Adventures). Cette série va marquer la fin d'une époque, et d'une certaine façon du BECMI.


Les séries de modules avec scénarios s'étaient arrêtés en 1987. En 1989 on a étonnamment, la série B qui revient avec les modules B11 et B12. Comme je le disais, chez TSR, on trouve que les modules avec des hauts numéros ne se vendent pas assez bien. Au lieu donc de sortir un B13, en 1990 on voit arriver le DDA1 Arena of Thyatis par John Nephew. Dans le cahier des charges, il fallait que dans ce scénario, les aventuriers deviennent des gladiateurs (quelque chose qu'on va retrouver par la suite, notamment dans Dark Sun). Ce module est fortement lié à la boite Dawn of the Emperors dont je parlais précédemment. Le scénario est fortement ancré dans la philosophie des années 90 avec beaucoup d’interaction avec des PNJs (avec beaucoup beaucoup de PNJs), une histoire très scriptée (sans trop de railroad malgré tout), et des thèmes de corruption politique. On retrouve la classe de "rake" de Dawn of the Emperors, un peu remise à niveau, car c'était juste un voleur en moins bien avant cela. Et on tease l'arrivée de la prochaine boite de campagne pour le Known World, avec des références à la Terre Creuse (à voir dans le prochain portrait de famille).

Arrive ensuite le DDA2 Legions of Thyatis par John Nephew encore, qui est une suite directe du précédent module. Ici, le module est fortement connecté à la nouvelle boite Hollow World qui va décrire l'intérieur du Known World, sa Terre Creuse. On a une certaine quantité de background à ce niveau, qui continue le teasing de cette nouvelle boite. À noter qu'ici le scénario touche au niveau 4, ce qui dépasse les règles de la boite Basic, et donne une idée de ce qui va arriver ensuite. On a encore des thèmes réalistes, dont un procès dans le scénario. Très scripté, même s'il y a quelques passages d'exploration.

Puis en 1991 arrive une nouvelle boite D&D Basic. Celle qu'on appelle la Basic Black Box (ou D&D 5th Edition, sisi), qui va être une boite d'introduction à D&D, et couvrir les niveaux 1 à 5. Il n'y aura plus par la suite d'autres boites pour couvrir les niveaux supérieurs. Pour cela, il faudra se tourner vers le D&D Rules Cyclopedia dont j'ai parlé dans le portrait de famille D&D Basic. Il y aura une autre boite du même style en 1994 (la D&D 6th Edition, hé oui, vous saviez pas qu'elle existait !) et une dernière en 1996 (sans de réelles différences mis à part les illustrations ou la mise en page).

TSR veut que se servir de D&D Basic comme une introduction au jeu, et la gamme ne va quasiment plus servir qu'à cela.

Pour accompagner cette boite, en 1991, sort le module DDA3 Eye of Traldar par Carl Sargent (avant qu'il commence à beaucoup travailler sur Greyhawk) avec notamment le nouveau logo. On reste dans le Known World, et on revient notamment dans le Grand Duché de Karameikos et une de ses baronnies. Il n'y a pas trop de background ici, car l'idée est que c'est un scénario d'introduction, donc il ne faut pas surcharger d'informations. Du background sera malgré tout écrit et publié dans le magazine Dragon quelques années plus tard. On est ici dans un dungeon crawl très classique (avec vraiment très peu d'extérieurs), car la nouvelle boite Basic ne propose que des règles pour les aventures en donjon.

Et toujours en 1991, on a le dernier module de la série, le DDA4 Dymrak Dread par John Nephew qui est sensé être une suite du précédent. Le problème, c'est qu'il n'y a pas eu de concertation, et de plus, TSR est toujours dans l'idée de faire de D&D Basic un jeu d'introduction et d'initiation, et réduit le module de 32 à 16 pages. L'auteur aura beaucoup de mal avec cela et le scénario est très différent de ce qu'il avait prévu à l'origine et notamment les manipulations politiques disparaissent pour une histoire beaucoup plus simple. La forêt en question est celle du chef d'oeuvre B10 Night's Dark Terror mais ce n'est pas réellement exploité. On a ici un dungeon crawl très classique. Petite anecdote, le symbole en bas à droite de la couverture servait à différencier les différents types de modules. Un symbole de dragon servait pour identifier les scénarios, un symbole d'épée et de bouclier devait être pour des suppléments, un parchemin pour des règles, et un château pour un accessoire qui comprenait du matériel 3D ou composants spéciaux.

Et cela sera tout pour la série DDA. Cette tendance à produire des modules d'introduction de bas niveau va continuer les années suivantes. Ne les ayant pas, je ne ferai pas de portrait de famille, et je vais en parler succinctement ici. En 1992 et 1993 va sortir 8 modules "Entry" donc, 7 scénarios d'introduction/initiation de bas niveau (niveaux 1 à 5 pour aller avec la nouvelle boite Basic) et un accessoire. Cette série est appelée aussi "Thunderift Series". Elle est déconnectée du Known World, en présentant une petite région autonome qui peut s'insérer un peu dans n'importe quel univers. Cela sera les derniers scénarios pour D&D Basic. Je ne sais pas trop ce qu'ils valent en tant que scénarios, mais ils sont plutôt chers sur le marché de l'occasion. Étant de plus déconnectés du Known World, je n'ai pas trop cherché à les récupérer.

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques… 

dimanche 9 novembre 2025

Portrait de famille - l'univers de Greyhawk

Une chronique de Jean-Luc Barbera

Aujourd'hui, nous allons parler de Greyhawk de façon générale avec les boites qui décrivent l'univers.


Il s'agit donc de l'univers de Gary Gygax, qu'il a développé dès le début des années 70 alors que D&D n'était pas encore paru. Mais à partir de 1976, le magazine Dragon arrive, et petit à petit, Gary va y parler de sa propre campagne et de l'univers qu'il a développé. Il s'avère que cela intéresse des gens qui demandent à en savoir davantage. Gary va continuer de distiller des informations, avant qu'il soit décidé de sortir l'univers de Greyhawk pour la publication. C'était une première, car tout comme les modules, à l'époque, on considérait que chacun allait écrire  ses propres scénarios et faire ses propres campagnes et univers, raison pour laquelle le Guide du Maître contenait de nombreux conseils pour cela. "The World of Greyhawk" sort en 1980, qui n'est pas une boite pour le coup, mais un livret de 32 pages de background pour présenter l'univers avec deux immenses cartes, là aussi une première car TSR n'avait jamais fait imprimer de cartes aussi grandes. D'ailleurs l'univers est quelque peu différent de celui que Gygax et son co-dm Robert J. Kuntz ont développé. Ce qui a été décrit était en fait fonction de la taille maximum des cartes qu'ils allaient pouvoir faire imprimer. Et comme pour les modules, ils sont surpris par le succès. Le monde est caractéristique des goûts de Gygax pour l'histoire médiévale, il n'est quasiment pas manichéen, et même s'il est bien évidemment magique, on pourrait très bien y jouer sans aucune magie sans que l'univers perde de sa cohérence (il y a bien une ou deux bricoles liées à la magie mais cela reste relativement mineur dans l'univers). Le gris dans son nom correspond très bien à la réalité de l'univers qui est vraiment des zones de gris pour ce qui est de la moralité de la majorité des peuples (et c'est ce qui plait à un certain nombre de fans, qui vont être divisés par la suite, j'y reviens plus bas). La chronologie est ici arrêtée en CY576 (CY pour Common Year du nom du calendrier principal).

Beaucoup de choses sont mises en chantier, il est prévu de détailler l'univers et de l'étendre, mais cela n'arrivera jamais. Seule la boite "World of Greyhawk Fantasy Game Setting" parmi tout ce qui était prévu sortira (avec un peu de retard) en 1983. Les déboires de TSR qui ont failli couler à cette époque, et le départ de Gygax en 1985 auront raison de tous ces projets.

Avec cette boite, on quadruple quand même le nombre de pages du livret de 1980 (communément appelé "Greyhawk Folio").  Pour ceux qui trouvent que son contenu est léger, à l'époque, c'était une première. Il faudra d'ailleurs attendre 4 ans de plus pour que la boîte Forgotten Realms débarque avec 192 pages (contre 128 donc). Il y a quand même de quoi faire pour l'époque. Toutes les contrées de la Flanesse y sont décrites (on retrouve notamment le goût du wargame de Gygax avec les compositions des armées des différents pays), avec une histoire générale du monde, la météo est abordée, ainsi que le panthéon (on y trouve d'ailleurs les premiers clercs "spécialistes" avec des pouvoirs spécifiques en fonction du dieu, même si ce n'est pas encore formalisé et détaillé/systématisé comme par la suite) et même de la botanique avec un certain nombre d'arbres et de plantes imaginés pour l'univers.

Après le départ de Gygax en 1985, il y a une grosse pause dans la parution de produits Greyhawk. On pouvait même penser que cela en était fini de l'univers. Mais les productions reprennent, et en notamment, en 1989, sort un des nombreux produits hybrides 1e/2ème édition, avec "The City of Greyhawk" qui va décrire la fameuse Cité de Faucongris. On est ici dans les standards de l'époque, avec 192 pages de background (plus évidemment les plans et les feuilles cartonnées qu'ils faisaient beaucoup à l'époque). Le ville est détaillée comme jamais et est passionnante à souhait: histoire, quartiers, lois, système judiciaire, lieux particuliers, PNJs, intrigues, le tout toujours aussi gris comme il sied à Greyhawk). Il y ici de quoi jouer pendant des années. Certains gardent en référence Laelith comme madeleine de Proust, moi c'est The City of Greyhawk. Cette boite est un bijou pour les amateurs de l'univers. La chronologie est ici quelque peu avancée (CY579 de mémoire), et quelques éléments de background sont là pour justifier des changements de la 2nd édition (par exemple, la 2ème édition ayant décidé de se passer des pièces d'électrum, il y a eu ici une réforme monétaire qui a abandonné ces pièces qui deviennent obsolètes et sans valeur).

Enfin, après la "trilogie" WGS, débarque en 1992 la boite "From the Ashes", écrite par le très bon Carl Sargent (qui a d'ailleurs bossé aussi sur la boite de "The City of Greyhawk"). Elle met l'univers à jour suite à la Grande Guerre de Faucongris qui a eu lieu donc de CY582-584, avec une timeline en CY585. On est toujours dans les standards de l'époque, deux livrets de 96 pages, avec plein de cartes et fiches cartonnées. Le travail de feu Sargent est exemplaire, mais c'est là que la scission arrive chez les fans. Ce n'est pas la faute de Sargent (ce n'est pas lui qui a décidé de la Grande Guerre), mais beaucoup de fans reprochent de nombreux changements apportés à l'univers, les changements géopolitiques, et la plus grande importance de la fantasy, avec notamment beaucoup de diables et démons partout, qui ont été invoqués en quantité par les gros méchants de l'univers pendant la Grande Guerre. On reproche justement à cette période son plus grand manichéisme car on a beaucoup plus de factions "bonnes" opposées aux "mauvaises" avec leurs démons et diables.

D'autres embrassent les changements, et apprécient la manière dont l’univers est décrit et ce qu'il permet. En tous les cas, cette boite apporte du background totalement utilisable même si on veut jouer dans la période avant la Grande Guerre, sans parler du côté technique 2nd édition avec notamment les règles des prêtres spécialistes pour les dieux les plus importants et emblématiques de l'univers. Le monde changera encore par la suite, avec d'autres parutions, sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir.

In Memoriam

Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons.  Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie.  Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme.  Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal.  Il nous manque énormément.  En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques…