Une chronique de Jean-Luc Barbera
Aujourd'hui, dans le portrait de famille, je vais parler du fork de Dungeons & Dragons, et donc des boites de règles D&D, post OD&D. Attention c'est très long !
Se mettre à D&D en 1974-1976 était très compliqué. Se mettre au jdr tout quand on y a jamais été initié, c'est déjà pas simple, mais à cette époque, c'était bien pire. En plus, la boite D&D ne se suffisait pas à elle-même, car vous étiez sensés posséder Chainmail (le wargame de Gary Gygax et Jeff Perren sorti en 1971) ainsi que Outdoor Survival Guide (un wargame de Avalon Hill). Si vous jetez un œil aux livrets originaux, vous comprendrez rapidement comme cela devait être très compliqué pour des néophytes. Je défie d'ailleurs quiconque d'arriver facilement à mener une partie de OD&D sans souci sans avoir déjà une bonne pratique.
Au passage, sur le D&D original, il n'y a pas écrit "jeu de rôles", mais "Rules for Fantastic Medieval Wargames Campaigns Playable with Paper and Pencil and Miniature Figures".
Malgré tout, quand on voit ces tout premiers livres soit disant tapés à la machine et assemblés à la main dans la cave de Gygax (c'est ce que raconte la légende mais pas certain que ce soit vrai), et qu'on imagine qu'à l'époque c'était un jeu jamais vu, ça fait quelque chose.
Toujours est il que c'est compliqué de se mettre à D&D. Gygax va charger un nouveau, un certain John Eric Holmes (psychologue à la base) de faire une boite qu'on qualifierait de nos jours initiation.
Holmes va principalement utiliser la boite de D&D et un peu le supplément 1 Greyhawk.
Dans la boite originale de D&D en effet, il n'y a que 3 classes: fighting-men, magic-user et cleric (le cleric est du à Dave Arneson au passage). Le thief (voleur) vient donc du supplément Greyhawk.
À l'époque, il n'y a que 4 races: humain, nain, elfe, hobbit (oui oui, hobbit, jusqu'à ce que des problèmes légaux arrivent et qu'ils le renomment halfling à partir de AD&D et de la boite en question ici, ainsi que les réimpressions de OD&D qui continuent quand même jusqu'en 1979, 3 ans après la fin de la "gamme").
L'humain peut faire toutes les classes, les nains et hobbits juste guerriers, et l'elfe peut changer à chaque début de scénario entre guerrier et magicien (il n'y a pas de règles de multiclassage à l'époque).
Et donc voilà pourquoi on va avoir 7 "classes" dans ce fork: clerc, guerrier, magicien, voleur (tous humains), et ensuite nain, elfe, halfling.
L'elfe est notamment pas mal retravaillé pour ne plus avoir à changer de classe, histoire de savoir utiliser la magie sans soudainement ne plus savoir se battre, et de pas attendre le scénar suivant pour ça surtout.
Le Basic Set débarque en 1977, et il va très très bien se vendre. Il va y avoir plusieurs impressions. On appelle cette boite le "blue box" à cause de son livret de règles en nuances de bleu (livret de 48 pages).
Il est certainement beaucoup plus accessible que OD&D, mais si vous y jetez un coup d’œil, on est encore loin de ce qui peut se faire par la suite. Certaines règles laissent même à désirer (l'arme la plus puissante étant la dague de très très loin).
Les premières impressions viennent avec les Dungeon Geomorphs Set One et Monster & Treasure Assortment Set One (deux suppléments typiques de ce qui se faisait à l'époque, avec des plans tout prêts et des listes de monstres et trésors tout prêt, très dispensable de nos jours et pas vraiment intéressant).
À partir de fin 1978, ils préfèrent inclure un module à la place, c'est le B1 In Search of the Unknown (dans ce qu'on appelle la version monochrome). Ce module est fait pour aider les MJs débutants à faire des donjons. Il propose une structure, un plan, etc, mais à chaque fois, le MD doit générer les monstres et les trésors.
(petite anecdote, dans ce scénario, étrangement, il y a une référence à Greyhawk. En effet il est proposé plusieurs localisations pour le scénario à divers endroits appropriés. Ces propositions vont disparaître quand le module sera réédité avec la couverture couleur par la suite).
Fin 1979 la boite est packagée avec le célèbre module B2 Keep on the Borderlands de Gygax au lieu du B1 (je reviendrai un jour sur les modules).
La boite vient aussi avec un set de dés, et il n'existe pas de d10 à l'époque. le d20 est utilisé à sa place. Apparemment, pour faire les dés au début, ils ont utilisé un fournisseur qui fabriquait des tétraèdres, hexaèdres, octaèdres, dodécaèdres et icosaèdres destinés à l'enseignement des solides platoniciens (oui le d10 est une hérésie). Je rajouterai quelques photos des sets de dés en commentaires.
À noter que dans certaines prints de ce Basic Set, ils avaient eu des problèmes d'approvisionnements en dés. Ils en ont donc vendu certaines avec des "chits", petits morceaux de cartons numérotés à découper, et à piocher au hasard pour déterminer le résultat à la place d'un jet de dés (chose qui intéressera les gros collectionneurs).
Cette boite ne permet de jouer que jusqu'au niveau 3. On est ensuite encouragé à passer à AD&D pour continuer à jouer au-delà. Mais ces boites se vendent comme des petits pains. Ils vont donc décider de permettre de continuer au-delà du niveau 3.
Pour cela, c'est Tom Moldvay qui va être chargé de retravailler le Basic Set, et Dave Cook va faire une autre boite pour les niveaux suivants (4 à 14), le Expert Set.
1981 voit donc débarquer une nouvelle boite Basic, celle qu'on appelle la "magenta box", avec un nouveau livret de règles (64 pages maintenant) et livrée aussi avec le module B2). La nouvelle boite Expert, communément appelée "light blue box", contient un livret de 64 pages, qui ajoute donc des règles supplémentaires pour l'exploration en extérieur, des nouveaux monstres, objets magiques, règles pour les personnages avec aussi les suivants qui apparaissent notamment à partir du niveau "titre", des conseils au maître de donjon, et une petite présentation du Known World qui va devenir l'univers par défaut de cette gamme (il sera renommé en Mystara que bien plus tard) où vont se dérouler les scénarios futurs de la gamme.
Dans cette boite, on trouve aussi le premier module de la série Expert, le célèbre X1 Isle of Dread.
Et ces boites cartonnent toujours. Ils ne vont donc pas lâcher le morceau.
En 1983 débarquent des nouvelles versions des Basic et Expert Set, retravaillées par Frank Mentzer, les très connues "Red Box" et "Blue Box".
La Basic change le plus, avec notamment le livret de règles coupé en deux, un livre pour les joueurs et un pour le MD. La boite est très didactique, avec des explications claires sur le jeu, un scénario en mode livre dont vous êtes le héros pour montrer comment ça marche, avant d'arriver à la création de personnages. Le livre pour le MD est lui aussi très didactique, avec un scénario donjon d'introduction dont le premier niveau est entièrement fait, le second il y a le plan et des indications sur comment le peupler, et le troisième est à faire complètement avec certaines indications malgré tout. À noter que ce scénario à été refait en 3ème édition dans le magazine Dungeon en 2007. Premier scénario que j'ai donc maîtrisé tout jeune, j'ai eu l'occasion de faire ce remake il y a quelques années (en D&D5 par contre), et c'était vraiment quelque chose niveau nostalgie.
1984 voit arriver la nouvelle boite suivante (toujours par Mentzer), la Companion (de couleur verte). Outre l'augmentation de niveaux (15 à 25) et les habituels nouveaux sorts/objets magiques/monstres, des nouvelles options pour les personnages (druide, paladin, et autres mystics), on a ici des choses très intéressantes comme la gestion des domaines (la boite Expert ne proposait que des tarifs pour la construction de châteaux) avec tout ce que cela implique, les invasions, les batailles rangées (avec un système de batailles de masse), épidémies, catastrophes naturelles, tournois de chevalerie et autres.
En 1985 arrive la boite Master (noire) qui permet d'aller jusqu'au 36 (le maximum humain et c'est déjà pas mal !). Outre les ajouts habituels et des gros classiques, on trouve des règles de compétences, des spécialisations martiales (mastery), des armes de sièges, et des infos sur le multivers, avec des infos sur les autres plans (même s'il y en a moins que dans AD&D), des règles sur le vieillissement des personnages, et la question des immortels est abordée.
Et pour finir, en 1986, c'est la boite Immortals (dorée, que je n'ai pas donc pas sur la photo) qui vient conclure cette série. Dans l'univers du Known World, point de divinités (choix certainement fait au départ pour s'éviter les foudres des ligues chrétiennes), mais des immortels qui règnent depuis d'autres plans. Il va être proposé aux héros ayant atteint le niveau ultime (36) de devenir eux aussi immortels et d'agir à un niveau cosmique.
C'est à partir de là qu'on parle de la gamme BECMI (pour Basic, Expert, Companion, Master, Immortal), mais pendant longtemps, TSR et Dragon magazine faisaient référence à OD&D comme le D&D Basic First Edition, la boite Holmes comme le Basic Second Edition, la Molday comme étant Basic Second Edition Revised ou Third Edition, et finalement la Mentzer comme étant la Third ou Fourth Edition... Pas simple...
Donc la gamme D&D a évolué en parallèle de la première édition de AD&D. À partir de la seconde édition de AD&D, on va avoir une compilation des règles des boites Basic/Expert/Companion/Master en un seul volume. Le Rules Cyclopedia sort en 1991. À noter qu'il y a quelques différences de règles par rapport aux boites précédentes. Il contient une présentation du Known World ainsi que des cartes.
La boite Immortals sera retravaillée à part dans la boite "Wrath of the Immortals" (1992) qui va modifier les règles, présenter le panthéon des immortels du Known World, et présenter une campagne (qui demande pas mal de boulot et de temps) mais ce qui est dommage c'est qu'elle n'est pas faite pour des immortels... La boite n’apparaît pas sur la photo car je ne l'ai pas non plus (et pas certain de la récupérer un jour celle-ci).
Il n'y aura plus trop de suivi par la suite, à part quelques nouvelles boites d'initiations ou quelques suppléments pendant quelques années, l'univers du Known World va donc être appelé Mystara et sortir pour la 2ème édition de AD&D (mais peu de choses sortiront avant qu'il soit abandonné mais j'y reviendrai une autre fois).
À partir de la 3ème édition, le fork se termine définitivement, et il n'y aura plus que Dungeons & Dragons.
In Memoriam
Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons. Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie. Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme. Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal. Il nous manque énormément. En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques…
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