Une chronique par Jean-Luc Barbera
Aujourd'hui, je retravaille un autre portrait de famille, la série de modules S (pour Spécial, essentiellement des modules indépendants les uns des autres contrairement aux autres séries commencées précédemment comme les G et D). Tous ces modules seront compilés à plusieurs reprises. D'abord dans le supermodule S1-4 Realms of Horror pour AD&D en 1987 et ensuite en 2013 dans le volume Dungeons of Dread.
Le premier de la série, le S1 Tomb of Horrors par Gary Gygax est publié fin 1978 apparemment (c'est ce qui semble le plus probable, car il y a des contradictions suivant les personnes qui en parlent. C'est à l'origine lui-aussi un module de tournoi, joué pour la première fois à la convention Origins 1 en 1975 (le 25 juillet pour être précis). Gygax a créé ce scénario sur une idée de Alan Lucien (qui est crédité pour un certain nombre d'idées dans différents bouquins à l'époque) pour proposer un réel challenge aux personnages de sa campagne qui étaient devenus très puissants et qui se pensaient invincibles. Il avait notamment en tête Robilar, joué par Robert J. Kuntz (co-dm de la campagne Greyhawk) et Tenser, joué par son fils Ernie. Et ils s'en sortent malgré tout vivants, même s'ils n'ont pas trop cherché la bête. D'après les récits, Robilar a sacrifié beaucoup de suivants orques qui sont morts sur les pièges, avant de s'enfuir de la tombe très vite grâce à ses bottes de rapidité, mais pas avant d'avoir bien rempli son sac de contenance de trésors. Tenser, quant à lui, a vite compris la nature de la tombe et n'a pas traîné, même s'il aurait réussi à emporter une paire d'objets magiques.
C'est donc le premier "killer dungeon" publié, même s'il existait d'autres niveaux dans le Castle Greyhawk de la campagne originale de Gary tout aussi mortels. Mais celui-ci était particulier, car il était particulièrement mortel dès l'entrée.
Une autre de ses particularités, c'est qu'il ne contient pas beaucoup de monstres. Les personnages qui survivent doivent plus cela à l'astuce et la réflexion de leurs joueurs qu'à leurs stats et le résultat des dés.
Le scénario se déroule dans le monde Greyhawk. Il n'est pas spécifiquement localisé au départ, à la place, il y a plusieurs suggestions. Ce n'est qu'avec sa suite (Return to the Tomb of Horrors, voir le portrait de famille sur Greyhawk) 20 ans plus tard qu'il aura une place définitive et une intégration beaucoup plus poussée.
Comme tous les modules publiés à la fin des années 70, il sort d'abord dans une version monochrome, avant d'être mis à jour avec la nouvelle couverture couleur en 1981 (la version monochrome ici en photo est par contre une réédition faite pour la boite Return to the Tomb of Horrors). À noter que le scénario est court (12 pages), mais le module fait malgré tout un total de 32 pages, car il contient un livret d'illustrations de 20 pages, qui sont peut être les premiers aides de jeu sortis pour un module. Comme dit Gygax, les illustrations en disent beaucoup et très peu, et peuvent aider ou non les aventuriers à survivre à la tombe.
Il va connaître aussi des remakes, dont un en 3ème édition et apparemment en 4ème édition (ainsi qu'une adaptation plus large et étendue), et pour finir, il est converti aussi en 5ème dans le volume Tales of the Yawning Portal en 2017. Quant à au grand méchant le demiliche Acererak, il est aussi au cœur de la campagne Tomb of Annihilation (dans le monde de Forgotten Realms étrangement) sorti en 2017 également. Le scénario a été classé 3ème meilleure aventure de tous les temps de D&D par le magazine Dungeon en 2004.
Le S2 White Plume Mountain par Lawrence Schick sort en 1979, premier scénario de AD&D écrit par quelqu'un d'autre que Gygax. Il est proposé au tournoi de la GenCon XII en 1979, et sort donc d'abord avec une couverture monochrome. Le module ne fait que 12 pages, et en fera 16 avec la version couleur de 1981, grâce à des illustrations ajoutées. Schick ne pensait pas que son scénario pourrait être publié, il l'avait envoyé pour se faire embaucher par TSR. Et Gygax a décidé de le publier tel quel. C'est peut être le premier "funhouse" dungeon publié. On est éloigné du naturalisme gygaxien, et il y a beaucoup d'inspirations à droite à gauche (l'épée intelligente Blackrazor rappelle Stormbringer évidemment), d'énigmes, de pièges, etc... Le scénario se déroule dans Greyhawk, et notamment la carte qui situe la White Plume Moutain contient un indice sur le premier dragon mort vivant du jeu, le fameux Dragotha, qui ne sera détaillé que presque dix ans plus tard, dans le Dragon #134 en 1988. Il sera aussi au cœur de l'adventure path Age of Worms de Paizo en 2006. Le Collector's Edition Silver Anniversary de 1999 contient une réédition du S2 en couverture monochrome (celle que j'ai en photo). Le scénario connaîtra une suite 20 ans plus tard (Return to White Plume Moutain, plus fermement intégré à l'univers, voir le portrait de famille correspondant). Le scénario aura une adaptation en 3ème édition, à l'image du S1, avec un téléchargement gratuit, et sera aussi adapté en 5ème édition lui aussi dans le Tales of the Yawning Portal. Les armes intelligentes du scénario feront aussi un retour dans le supplément Weapons of Legacy pour la 3ème édition. White Plume Mountain a été classé 9ème meilleure aventure de tous les temps de D&D par le magazine Dungeon en 2004.
Le S3 Expedition to the Barrier Peaks par Gary Gygax sort en 1980. C'est aussi (encore) un module de tournoi, mais étonnamment, alors qu'à cette époque la série C a commencé, Gygax a pensé qu'il était suffisamment éloigné de ses origines pour plutôt être classé dans les S. Il a donc d'abord été joué à la convention Origins II en 1976, sur un seul round de tournoi. Le manuscrit de cette époque est particulièrement rare. Gygax a été inspiré par le jeu de rôle de Metamorphosis Alpha de James Ward. On a donc un scénario de science fantasy. Il n'y a pas de lien réel, mis à part le thème. Par la suite, en développant le S3, Gygax va aussi être inspiré par le niveau "Machine" du Castle El Raja Key de son ami Robert J. Kuntz (qui est crédité pour l'inspiration). Ce dernier a d'ailleurs proposé un scénario science fantasy à l'occasion de la Gencon VII en 1974. Et tous les deux ont exploré la City of the Gods de Dave Arneson avec leurs fameux personnages Mordenkainen et Robilar en 1976. Gygax a fait un autre mélange avec Metamorphosis Alpha en 1978 pour la Winter Fantasy 2 avec son Castle Greyhawk. Ensuite le jeu va évoluer en Gamma World. Le scénario se déroule dans le monde Greyhawk (il y avait déjà des références à l'époque de la version tournoi) et ici c'est le Grand Duc de Geoff qui va faire appel aux aventuriers car il y a des attaques de monstres venus d'une caverne. Il s'avère qu'il s'agit d'un vaisseau spatial écrasé (comme la City of the Gods en fait). On trouve des robots et d'autres nouveaux monstres comme adversaires dans le scénario, et il y a ce qui a peut être inspiré des jeux vidéos par la suite, à savoir des cartes à récupérer pour progresser dans le vaisseau (les premiers "plots coupons"). On voit aussi un illithid en tenue futuriste qui a probablement bien inspiré les illithids de Spelljammer une décennie plus tard. En plus du livret de 32 pages classique pour un module, il y a un deuxième livret de d'illustrations à montrer aux joueurs, à l'instar du S1 (livret de 36 pages dont les 4 centrales en couleur, ce qui était probablement une première à l'époque pour un jdr). Expedition to the Barrier Peaks a été classé 5ème meilleure aventure de tous les temps de D&D par le magazine Dungeon en 2004.
Enfin le S4 Lost Caverns of Tsojcanth par Gary Gygax encore sort en 1982 et c'est malgré tout un des plus vieux scénarios, car il s'agit du deuxième module écrit (après le Palace of the Vampire Queen de Wee Warriors) de D&D. Proposé donc originellement à la Wintercon V en 1976 sous le titre légèrement différent Lost Caverns of Tsojconth (8 pages seulement, et des prix stratosphériques de nos jours), ce module va lui aussi être converti à AD&D et considérablement étendu (grâce aussi à Robert J. Kuntz) avec deux livrets de 32 pages, l'un pour le scénario proprement dit, et l'autre contenant des nouveaux monstres, sorts et objets magiques (qui vont se retrouver par la suite dans le Monster Manual II et l'Unearthed Arcana). Étonnamment, il se retrouve dans la série S, alors qu'il était à l'origine prévu pour avoir le code WG3, le WG4 Forgotten Temple of Tharizdun étant une suite (assez "libre"), c'est d'autant plus incompréhensible que le I1 Dwellers of the Forbidden City était originellement prévu pour avoir le code S4. En tous les cas, on est ici dans du Greyhawk, avec notamment des PNJs et des monstres très emblématiques de l'univers. L'idée semblait de proposer une grosse campagne, avec en WG1 The Village of Hommlet, WG2 Temple of Elemental Evil, et WG3 Lost Caverns of Tosjcanth. Cela sera donc différent, et il n'existe pas de modules WG1-2-3 en fin de compte. Cela est peut être du à du retard dans le développement, car dès 1980 Gygax et Kuntz disaient qu'ils devaient finaliser Lost Caverns of Tsojcanth mais il aura fallu attendre encore 2 ans pour qu'il soit publié. Le scénario sera adapté en 3ème édition comme une des trois parties du Iggwilv's Legacy: The Lost Caverns of Tsojcanth, et gratuitement téléchargeable. Le S4 Lost Caverns of Tsojcanth a été classé 22ème meilleure aventure de tous les temps de D&D par le magazine Dungeon en 2004.
Il était apparemment prévu des modules S5 et S6 mais ils ne sortiront pas avant 1995 en 2nd Edition sans code de module (cela ne se fait plus à cette époque), respectivement Dancing Hut of Baba Yaga et Labyrinth of Madness.
In Memoriam
Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons. Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie. Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme. Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal. Il nous manque énormément. En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques…
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