Une chronique de Jean-Luc Barbera
Aujourd'hui, portrait de famille sur la troisième et malheureusement dernière série de Monstrous Arcana, celle consacrée au mind flayer ou flageleur mental en français. Attention, ça va être un peu long.
Encore une fois, la série va être constituée de 4 livres, un premier de 96 pages background/règles, et une trilogie de scénarios (de 32/32/64p).
Tous ici ont été écrits par le même auteur, à savoir, Bruce R. Cordell, qui a été très prolifique cette année de 1998, avec pas moins de 9 publications.
La première apparition du mind flayer remonte au premier numéro de la revue The Strategic Review parue au printemps 1975. Gary Gygax a déclaré qu'il avait plus ou moins tout imaginé chez ce monstre, et que la seule inspiration venait de la couverture d'un roman de Brian Lumley "The Burrowers Beneath". À noter qu'à cette époque, il n'y avait pas encore de règles pour les psi (mais le mind flayer avait déjà son attaque iconique mind blast). Celles-ci vont arriver dans le Supplement III: Eldritch Wizardry de D&D en 1976, et on va retrouver ce cher mind flayer mis à jour.
Il revient ensuite dans le Monster Manual de AD&D en 1977, où on parle de son habitat pour la première fois, de ce qui s'appellera une décennie plus tard "underdark" et qui va le rester par la suite. On va d'ailleurs les retrouver dans la série de modules sur les Drows, avec notamment le module D1 Descent into the Depths of the Earth (voir le portrait de famille sur la série de modules D) et c'est ici qu'on trouve pour la première fois leur nom alternatif "illithid". L'Underdark devient "officiel" avec la sortie du Dungeoneer's Survival Guide" en 1986 où les mind flayers sont encore présents.
Ils vont revenir en force par la suite via d'autres suppléments notamment, le FOR2 The Drow of the Underdark en 1991 et la boite Menzoberranzan en 1992. Leurs dieux seront détaillés dans le Monster Mythology de 1992.
Ils auront aussi une grande importance dans l'univers de Spelljammer, ainsi qu'un domaine à eux dans Ravenloft (là aussi, voir les portraits de famille correspondants).
Par contre, pour ce qui est de leur origine, une idée de Roger E. Moore va certainement devenir la base pour la suite. Dans "The Ecology of the Mind Flayers" du magazine Dragon #78 de octobre 1983, Moore suggère que les mind flayers ne seraient originaires d'aucun monde connu. C'est probablement cette idée que Cordell va utiliser pour l'origine des illithids. Plus tard, un autre scénario de Cordell (sur lequel je reviendrai en temps en en heure, teasing c'est le même dont je parle dans le portrait de famille des sahuagins) va nommer ce plan d'origine, le Far Realm. Ce plan prendra encore une place plus importante au cours de la 3ème édition.
The Illithiad sort donc en avril, et le titre est un jeu de mots sur l’Iliade d'Homère. Il va étudier les mind flayers sous toutes les tentacules et coutures, en commençant par leur anatomie, leur cycle de vie, leurs capacités, histoire et théologie, psychologie et société, technologie, ainsi que des variantes de mind flayers. Parmi ces variantes, un certain nombre étaient déjà apparues dans des suppléments passés (Ulitharid dans le Dungeon #24 de juillet/août de 1990, le Alhoon dans Menzoberranzan, l'illithid vampire dans divers bouquins Ravenloft mais notamment le module RQ2 Thoughts of Darkness, et j'en passe, mais aussi quelques unes entièrement nouvelles telles que arcane illithids ou encore urophions).
Comme il n'y a pas de règles psi dans les livres de base de la deuxième édition (les règles psi ont leur propre supplément, le PHBR5 The Complete Psionics Handbook de 1991), il est proposé des règles simplifiées pour ceux qui n'ont pas le supplément, mais on trouve aussi quelques nouveautés pour ceux qui l'ont et veulent l'exploiter un peu plus. Cordel va d'ailleurs se faire une spécialité des règles psi, en écrivant plusieurs bouquins à ce sujet pour la troisième édition de D&D et pour Malhavoc Press.
À noter qu'une fois encore, il y a un article paru dans Dragon #245 de mars 1998, qui vient en parallèle du livre de background, comme cela avait été fait pour les sahuagins.
C'est en juin qu'arrive le premier module A Darkness Gathering. Anecdote, le monstre de la couverture ne peut être relié à aucun de ceux apparaissant dans l'aventure.
Le scénario commence de façon très classique, dans une auberge. À partir de là, commence une série d'enquêtes pas forcément très compliquées mais qui peuvent se faire dans n'importe quel ordre. C'est une aventure urbaine, qui se déroule entièrement dans la même ville. C'est un scénario générique. Il n'y a pas trop d'informations sur cette ville dans le module, mais elle est davantage décrite dans deux autres suppléments Den of Thieves sorti en 1996 et College of Wizardry en 1998.
Par contre, les mind flayers disposent de plusieurs objets "technologiques" ce qui rappelle Spelljammer ou celui du module S3 Expedition to the Barriers Peaks.
Autre anecdote amusante, le BBEG de l'aventure, refera une apparition dans le livre Weapons of Legacy de la troisième édition en 2005. Il aura aussi sa propre figurine dans les D&D Miniatures.
Le deuxième module Masters of Eternal Night arrive ensuite en août. Bon, ici, plus de doutes, le monstre de la cover correspond parfaitement.
Ici l'aventure commence par un voyage en extérieurs plus ou moins long, quelque chose qui n'était pas très courant en 2ème édition. Il n'utilise pas de carte à hexagones. Il utilise des rencontres aléatoires par contre.
La deuxième partie est assez originale. Elle utilise un système de cartes qu'on tire pour savoir où les personnages arrivent. On défausse les cartes à mesure, ce qui fait avancer les aventuriers vers l'objectif, dans le but de simuler leur déplacement/avancement vers celui-ci.
Ici, Cordell relie son histoire au monde qu'il développe sur plusieurs modules depuis un moment et notamment dans Night of the Shark du précédent Monstrous Arcana ("monde" qu'il appelle Neverness, mais qui reste générique pour être utilisé n'importe où).
Étonnamment, peut être, le lien avec Spelljammer est ici renforcé, avec une découverte surprenante vers la fin de l'aventure.
Enfin, en octobre arrive la conclusion de cette trilogie, avec Dawn of the Overmind. Encore un détail sur la couverture, avec ce qui ressemble à un chthonien.
Certains disent que ce module est un module Spelljammer camouflé en générique.
Car oui, il est question d'aller dans le Wildspace toute l'aventure.
Peut être un dernier hommage, à la manière du module Reunion pour Al-Qadim sorti plusieurs années après la fin de la gamme (sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir), sans parler du revival Greyhawk cette même année 1998.
Peut être était-ce une façon de voir s'il y avait de la demande pour continuer/reprendre ces publications, mais cela n'a pas été concluant.
Le scénario verse allègrement dans l'hommage à John Carter avec des passages qu'il ne pourrait renier. L'ombre de Lovecraft est aussi présente dans l'aventure.
Le scénario est assez libre, avec quelques rencontres à des endroits clés, mais toujours pas d'hexagones. Une partie dungeon crawl conclue l'aventure avec artefact à la clé.
Toujours est il, Spelljammer avec donc l'introduction d'une nouvelle sphère de cristal, Truespace. De plus, Cordell va ici relier les sphères de cristal de Spelljammer à la "Grande Roue" des plans historiques de D&D.
Le module contient pas mal de background également, et parle d'un empire mind flayer s'étendant sur le multiverse. Cette idée reviendra d'une façon que je qualifierai "d'inversée" dans le supplément Lords of Madness de D&D3 (oui c'est obscur mais c'est pour pas trop spoiler).
On a aussi l'histoire originale des githyanki et des githzerai qui est développée (avec l'introduction des "forerunners" à la fin du module précédent).
On retrouve aussi un autre monstre du Fiend Folio de la première édition, le Grimlock qui se retrouve lié aux travaux de biogénétique des mind flayers.
17 ans plus tard, une petite ligne de background sur deux des créatures emblématiques de D&D a son histoire enfin pleinement dévoilée. À noter que le créateur des githyanki et githzerai, Charles Stross a déclaré qu'il s'était inspiré du roman de Larry Niven "The World of Ptavvs" de 1966 où il est question d'une race psionique maître et esclave loin dans le passé qui a failli tuer toutes les créatures intelligentes de la galaxie.
Enfin, on a l'apparition d'un dieu illithid, Maanzecorian (apparu donc pour la première fois dans le Monster Mythology en 1992) mais qui est ici déjà mort. Pour connaître son histoire, il faut s'intéresser à un autre gros module de AD&D de la gamme Planescape, sur lequel je reviendrai probablement un jour.
In Memoriam
Jean-Luc Barbera était un roliste et un passionné de Donjons et Dragons. Il faisait partie, avec quelques autres passionnés, d’un groupe très confidentiel de collectionneurs de jeux de rôles dont j’ai le bonheur de faire partie. Il a partagé avec nous un certain nombre de chroniques dans lesquelles il retraçait l’historique du grand ancêtre du jeu de rôle, patiemment, gamme après gamme. Jean-Luc a été foudroyé par le COVID à l’âge de 46 ans en décembre 2021, laissant derrière lui un vide abyssal. Il nous manque énormément. En sa mémoire, je vais partager avec les lecteurs de ce blog quelques-unes de ses chroniques…

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