dimanche 22 janvier 2023

Open Game License - Miroirs et fumées

Je commence cet article alors que la communauté des joueurs de jeux de rôles est en effervescence, suite à diverses annonces et fuites chez Wizards of the Coast quant au futur de l'Open Game License (en abrégé, OGL). 

J'ai longtemps hésité à m'y mettre, d'une part parce que de nombreux Youtubeurs et spécialistes se sont déjà emparés de la question, et d'autre part, parce que même si j'ai de bonnes notions de droit de la propriété intellectuelle (ci-après PI) de par ma formation et mon activité professionnelle, c'est un domaine assez compliqué et je ne peux certainement pas prétendre connaître l'état du droit dans ce domaine aux USA.

Malgré tout, je lis et j'entends pas mal de trucs qui me font un peu tiquer, et je me dis que ce serait pas plus mal de remettre certaines choses à plat. 

Le principe de la libre entreprise

OK, commençons par rappeler un truc essentiel que tout le monde oublie quand on parle de PI: le principe de base, dans nos sociétés occidentales, c'est le principe de la libre entreprise.  Selon ce principe, "chacun est libre d'exercer librement une activité commerciale ou économique".  Ce principe général de droit est tellement important et évident qu'il est, en réalité, bien souvent non écrit.  

La propriété intellectuelle, qui accorde des monopoles à ceux qui en bénéficient, est une exception à ce principe.  En droit, on dit que les exceptions sont de "stricte interprétation".  On ne peut en étendre artificiellement l'application. 

La propriété intellectuelle

Il existe un certain nombre de titres de propriété intellectuelle.  Pour ce qui concerne les jeux de rôles, deux de ces titres sont généralement mis en avant: les marques et le droit d'auteur.  

Les marques

Les marques sont des signes ou des sigles permettant à un acteur économique de distinguer les produits ou services qu'il offre. La première fonction d'une marque, c'est d'indiquer l'origine d'un produit.  Le produit peut, en lui-même, varier avec le temps sans que cela affecte la marque.  Typiquement, quand vous achetez aujourd'hui "Donjons et Dragons", vous n'achetez pas le même produit que dans les années 90.  

Les marques sont accordées simplement parce qu'on le demande, qu'aucune marque identique n'existe pour le même type de produit et qu'on paie la taxe de maintien.  Si demain, vous voulez déposer une marque pour un jeu "Chapi Chapo", en principe, rien ne vous en empêche.  Les marques sont accordées par "type de produit".  Vous obtiendrez "Chapi Chapo" pour des jeux, même si par ailleurs, Procter & Gamble vend des glaces "Chapi Chapo" et qu'il a déposé cette marque pour les glaces.  Pour prendre un exemple réel, si vous faites une recherche sur la marque "Polaris", vous allez trouver le jeu de rôle de BBE, mais aussi 4 autres marques déposées par diverses compagnies pour d'autres genre de produit (notamment des bouteilles d'oxygène pour la plongée).  Quand une marque devient célèbre, cette distinction quant au type de produit peut disparaître: je pense - au vu de ses derniers discours - que Hasbro estime que Donjons & Dragons a atteint ce stade.  Ca signifie que si demain vous déposez une marque "Donjons & Dragons" pour vendre des voitures, par exemple, il y a un gros risque pour qu'Hasbro tente de s'opposer au dépôt de votre marque.

Autre point important: pour être maintenue, la marque doit être utilisée (vous pouvez perdre votre marque si vous ne vendez aucun produit sous ce nom pendant des années) et elle ne doit pas entrer dans le langage commun (exemple assez bateau: "frigidaire", à l'origine, était une marque).

Enfin, point très important, s'il veut que sa marque perdure, le titulaire de la marque doit s'opposer à son utilisation par des tiers.  C'est probablement la raison pour laquelle WotC s'oppose dans ses OGL à l'utilisation de la marque de son jeu par des tiers.  Vous remarquerez que dans les dernières versions de l'OGL, il propose des logos spécifiques (qui seront autant de marques spécifiques) que les éditeurs tiers puissent identifier leur produit comme compatible avec D&D.

Le droit d'auteur

Contrairement aux marques, le droit d'auteur ne suppose pas un dépôt, même si la question de la preuve peut s'avérer épineuse si vous n'avez pas pris des dispositions pour "dater" votre oeuvre. 

Le droit d'auteur s'applique à des "oeuvres".  Ce terme est assez générique, qui renvoie à des textes, aussi bien qu'à des images, des bâtiments, des sculptures, etc.  Pour être protégée, l'oeuvre doit être "originale", ce qui suppose un acte de création intellectuelle propre à l'auteur.  C'est aussi lié à un travail humain.  

On dit que les règles de jeu ne peuvent être protégées par le droit d'auteur.  C'est à la fois vrai et faux.  Si la mécanique de jeu en elle-même ne peut pas faire l'objet d'une protection, la manière dont cette mécanique est expliquée peut, quant à elle, être protégée par le droit d'auteur. 

A ce stade, il faut bien comprendre qu'il y a clairement un élément subjectif lorsqu'un juge se voit chargé de décider si quelque chose est une "oeuvre originale" ou pas.  On n'est pas dans le domaine de la certitude absolue, et en pratique, ça peut aller dans un sens ou dans l'autre.  

A titre d'exemple, et bien que cela concerne un jeu de plateau, je rappelle la jurisprudence Jungle Speed.  Dans ce jugement, les juges avaient examiné les deux jeux et les avaient comparé, tant du point de vue matériel que du point de vue mécanique.  Il ne me paraît donc pas si évident que des auteurs de rétroclones qui copient presqu'à l'identique les manuels des anciennes éditions de D&D ne courent aucun risque, surtout depuis que tout ça est de nouveau disponible et vendu en ligne au format pdf...

Le droit d'auteur accorde à son titulaire deux type de droits: des droit dits "moraux", qui sont incessibles, et des droits dits "patrimoniaux", qui peuvent être vendus.  Ainsi, par exemple, un auteur de roman peut vendre son oeuvre à son éditeur, qui devient le nouveau titulaire du droit d'auteur, et peut à ce titre s'opposer à ce que celle-ci soit copiée sans son consentement.

Les licences

On en vient au sujet du jour (il était plus que temps, me direz-vous).  

Une licence est un contrat par lequel le titulaire d'un titre de propriété intellectuelle accorde à une autre personne (appelé le licencié) des droits de reproduction de son oeuvre, en respectant les termes du contrat de licence. 

Le mot contrat est à mon sens très important, ici.  Un contrat suppose la rencontre des consentements des deux parties.  En général, on dit de la personne qui propose le contrat qu'elle fait une "offre".  Lorsque celle-ci est acceptée par une autre partie, on dit que le contrat est conclu (à moins d'un vice du consentement, mais on ne va pas chipoter).  

Dans le cas de l'OGL 1.0a, j'ai lu énormément de questionnements de personnes qui avaient utilisé cette licence et qui se demandaient si WotC pouvait revenir sur le passé.  A mon avis, la réponse est non: en publiant sa licence (son offre) largement, WotC a permis à ceux qui l'ont utilisée en respectant les termes de celle-ci (a priori, la principale condition était de publier la licence en fin d'ouvrage) d'accepter son offre, et il est contractuellement lié par les termes de cette licence pour les oeuvres déjà publiées.  

Par contre, il peut retirer son offre pour l'avenir.  Il n'y a pas grand chose qui peut l'en empêcher.




Aucun commentaire: